Don Camillo, le clocher, le maire, le bar-tabac, la place du marché et les invectives amicales des autochtones… c’est un temps que les moins de vingt ans peuvent ne pas connaître.

Mais trêve de nostalgie ! Nos vies ont changé, radicalement.

Nous avons tous dans les mains un « smart » phone qui nous donne un accès instantané à toutes les connaissances, à toutes les « marketplace » du monde, à nos amis, nos contacts, notre travail, nos loisirs…

Nos désirs n’ont plus le temps de s’incarner. Plus le temps d’avoir envie, d’avoir faim, d’avoir soif, d’attendre. Finalement, loin de nous faire grandir, la technologie peut nous faire confondre besoins et désirs, nous faire retomber en enfance en nous faisant miroiter le « tout, tout de suite » du nourrisson qui ne sait pas encore qu’il n’est pas sa mère. Grandir, c’est sortir de la fusion mère/enfant, c’est prendre conscience de sa singularité et accepter d’être frustré, accepter d’attendre. Ceux qui ont des enfants le savent. Éduquer c’est apprendre la patience. La quête du bonheur (il est où, le bonheur ?) est dans cette acceptation de notre humanité. Nous le savons bien ! Mais…

… nous supportons de moins en moins l’attente. Fast food, fast shopping, fast delivery, fast payment sans contact, fast news, one clic order, … Nous avons une envie ? On achète. Maintenant. Livraison demain, aujourd’hui, dimanche, cette nuit. En un clic, sur une place de marché planétaire. Sans parler à personne. Seuls face à nos besoins comblés. Mais seuls.

On nous fait miroiter que le progrès serait d’avoir à notre porte tout ce que l’on veut, sans efforts, sans relation, sans communication (parler à, et écouter les autres, c’est difficile…). On nous fait croire que le centre-ville du futur devra absolument être une marketplace qui nous permettra de commander et être livré, comme ça on n’aura pas à aller voir nos commerçants de proximité, on n’aura pas à prendre le risque de la frustration et de l’attente – le risque de la rencontre ?

Alors il est où le bonheur, il est où ?

On se prend à rêver d’un temps où les écrans étaient en noir et blanc, Don Camillo et Peppone se chamaillent, l’épicier du coin, nos grands-mères ont des tabliers à fleurs et l’odeur alléchante de la soupe maison flotte dans la cuisine… Un temps révolu, mais qui infuse notre rapport au monde et nous fait pointer instinctivement vers ce qui est bon pour nous.

N’allez pas me faire dire ce que je n’ai pas dit : je ne suis pas nostalgique. Le progrès apporte tous les jours énormément de bonnes choses dans nos vies. Seulement, nous devons exiger de la technologie qu’elle soit toujours centrée sur l’humain – « human centered ». En fait, et c’est là tout mon propos, elle doit être mise au service du bien vivre ensemble, elle doit être mise à sa place. Ni plus, ni moins. C’est plus qu’une tendance aujourd’hui. Il faut appliquer aux objets et aux nouvelles technologies une grille de lecture stricte et exigeante : qu’est ce que cela apporte de bon, fondamentalement, à l’être humain. La technologie peut ajouter de l’information à la réalité perçue, en 3D et en 360°, mais in fine elle n’augmente pas l’humain – parfois au risque de l’effacer.

Il est donc temps de reprendre le contrôle de nos rêves. Le « printemps français », gilets colorés à l’appui, nous montre que nous cherchons collectivement un idéal différent que celui d’une croissance à tout prix et d’une société de consommation dominée par des volontés de profit qui ne vont pas souvent dans le sens de la justice sociale et du bien commun.

Internet au risque de l’humain

Comment faire ? Ma conviction est qu’il faut se réapproprier, réinventer internet. Rien que ça ! Enlever un peu de pouvoir aux multinationales et le remettre, par exemple, aux collectivités qui sont chargées de la chose publique. Internet, comme l’accès à l’eau potable, est un bien incontournable qui n’appartient pas à des grands groupes privés qui nous dicteraient des usages aux profits unidirectionnels.

Pour avancer, pourquoi n’intégrerions-nous pas un nouveau facteur clé de mesure du progrès : la rentabilité relationnelle. Posons-nous la question, devant chaque objet, chaque technologie, chaque nouveauté : Est-ce que cette technologie, cette nouveauté, cet objet me permet d’être mieux en relation avec les autres – suis-je fondamentalement plus heureux avec, ou sans ?

Seul, devant mon smartphone, devant ma caisse automatique, devant ma porte fermée en attente d’une livraison (par drone…), satisfaisant un désir de toute puissance, ou bien en relation et en dialogue avec les autres, les amis, les voisins, humains… quel sera mon choix ? Soyons exigeants, utilisons nos supers pouvoirs de consommateurs, d’acteurs, de citoyens. À qui profite le crime – euh pardon, la technologie, que j’ai dans les mains ? À moi… vraiment ?

En conclusion, beaucoup de questions, un sujet très vaste qui touche les politiques publiques, les données, la souveraineté, la vie privée, … et pas de réponses toutes faites, mais une conviction : il est temps de réinventer les outils qui permettront d’humaniser internet, de valoriser le lien et le dialogue, de connecter les humains.